Escapade Géorgienne (1/5)

Mercredi 8 juillet 2009, atterrissage à l’aéroport Zvarnost de Erevan. Il fait déjà nuit, trop tard pour voir le sommet du mont Ararat qui surplombe la frontière turco-arménienne. Henry Thurel, mon assistant, s’occupe de nos bagages et moi j’achète, pour soixante dollars, deux visas. Les formalités douanières sont rapides, on est loin des tracasseries de l’époque soviétique. Nous pouvons quitter l’aéroport.


Ratchatour Chobanian, notre ami arménien, nous attend. Depuis dix ans il est mon assistant et le chauffeur de mes tournages caucasiens. Un nom à coucher dehors : Ratchatour peut se traduire par « Le fils de la croix », et Chobanian, par le « berger »… Ben voyons. Un héritage bien lourd. Accolades, embrassades, et il est temps de trouver un restaurant. Un dîner rapide, des tomates rouges comme les fesses de mes filles, quelques herbes ; coriandre, basilic noir, légèrement mentholé et doucement piquant et quelques oignons sauvages. Pour suivre, brochettes d’agneau grillées et dolmas ; les feuilles de vignes farcies. Oh, pas de celles sorties de la boîte de fer blanc, non, non, celles roulées par les doigts agiles de quelques mamans. Des feuilles tendres, cueillies aux vignes séculaires de la plaine de l’Ararat. Et quelques vodkas : des retrouvailles, ça se fête !

Lever six heures, l’Ararat est violet. La couleur du matin avant que les brumes de chaleur ne jettent leur manteau. On charge les bagages dans notre vieille Niva. J’avais acheté ce petit et désuet 4X4 soviétique en 2005, lors du tournage de « La poudrière du Caucase ». On quitte Erevan, qui se réveille sur notre départ. En route pour le Nord, la Niva se lance, courageuse dans les virages de montagne. Mille cinq cent mètres d’altitude moyenne, un paysage somptueux. Des sommets tourmentés et enneigés dessinent l’horizon. Au bout d’une longue descente, le bleu turquoise du lac Sevan noie le pare-brise. Sur notre droite, au bout d’une presqu’île, le monastère d’Aïrivank. Au sommet du piton rocheux, deux églises de tuf rouge surplombent les eaux du lac. Je pousse le volume de l’auto radio, « Rivers of Babylone », les Neville Brother. Un instant de plénitude, de paix. La Niva poursuit sa remontée vers le nord et la frontière géorgienne.


A 14 heures, on arrive sur Alaverdi, célèbre pour sa gigantesque mine de cuivre à flanc de montagne. Pause déjeuner, le restaurant, quelques tables et bancs dressés près de la route. Tomates, concombres en croque-au-sel, quelques herbes odorantes, fromage de brebis dur comme la pierre et odorant comme la montagne. Une vodka et un café. Pour ne fâcher personne, je ne l’appelle pas café turc, ni arménien, simplement café oriental. Une moulure extra fine, qui se dissout dans l’eau bouillante. Aujourd’hui personne pour me lire l’avenir dans le marc, déposé au fond de ma tasse. Il est temps de reprendre la route, la frontière n’est pas loin. Des baraques posées de chaque côté de la rivière Debed qui marque la frontière. Longues et fastidieuses formalités du côté arménien. Il y a foule pour se rendre en Géorgie.

Depuis le blocus imposé à l’Arménie par l’Azerbaïdjan et la Turquie, suite au conflit non résolu du Haut Karabakh, la frontière géorgienne est pour les Arméniens une des dernières portes de sortie du pays : une porte de survie. Nous franchissons, enfin, le pont qui enjambe la rivière. Les cinq croix rouges sur fond blanc du drapeau géorgien claquent dans le vent. Poste frontière moderne, les uniformes des gardes frontières sont neufs, un accueil professionnel. On parle anglais avec une certaine politesse, comme une envie d’Europe. Voilà, je rentre en Géorgie, le royaume de Colchide, le pays de la mythique Toison d’or, l’antique demeure de Prométhée. Sadakhlo, premier village après la frontière. Je ne vois aucune différence avec l’Arménie si ce n’est l’alphabet aux enseignes accrochées au frontispice des échoppes. Sous de larges casquettes, des paysans assis sur un banc fument une éternelle cigarette. Les ânes sont attelés aux charrettes. Tomates et pastèques sont vendues pour quelques Lari par de vieilles femmes. Les étals sont à même la route.


De lourds et couteux 4X4 noirs aux vitres fumées nous dépassent, les villages traversés ont tous le même air de pauvreté. Enfin, au bout de la route, allongée dans la vallée du fleuve Mtkvari, apparaît Tbillissi, enflammée par la lumière du soir. Tbilissi, ancienne étape sur la route de la soie, la capitale de la Géorgie, la ville aux mille églises. Je ne les ai jamais comptées, mais c’est ce qui écrit dans tous les guides. Place de la Liberté. Place de la République. Place des Héros. Et partout, flottant au vent, des drapeaux aux cinq croix.


Le drapeau de la nouvelle Géorgie, née de la révolution des roses, en 2004. Je ressens comme une ambiance de nationalisme exacerbé. On refuse de répondre à mes questions posées en russe, c’est géorgien ou anglais. Le grand frère russe est aujourd’hui l’ennemi. Au cœur de la vieille ville, le quartier Midan et ses venelles. Au 11 de la rue Chakhrukhadza, près du théâtre de marionnettes, l’hôtel Charme. Une vieille maison bourgeoise, quelques chambres à la déco surannée, j’y ai mes habitudes. Soirée détente. Restaurant dans la fraicheur d’une petite cave de pierres.


A la table voisine quelques joyeux gaillards en costumes noirs fêtent chaque bouteille de vin bue par des chants. Vins rouges géorgiens, chants polyphoniques, des plats de toutes les couleurs et de toutes les saveurs, la soirée est belle. Têtes lourdes et cœurs légers, nous rentrons à l’hôtel. Je fume une dernière cigarette au balcon de ma chambre. La vieille ville s’endort tranquille, quelques rires, quelques chant s’égarent et s’éteignent dans la nuit. Il est temps de me coucher. Demain, rendez vous est pris au ministère de l’énergie.


« … Depuis le siècle dernier, la Géorgie est devenue une étape indispensable au transport du pétrole entre la Caspienne et le marché occidental. Sous le régime soviétique, le pétrole de la Caspienne était raffiné à l'intérieur de l'Union. C'est seulement après la chute du régime que la Géorgie est redevenue un pays clé pour l'acheminement du pétrole de la Caspienne vers les marchés occidentaux.

Le fait que le transport du pétrole, le transport du pétrole de la Caspienne traverse la Géorgie est intéressant pour le pays. En effet, la chose lui procure des recettes de transit, ce qui est facteur de stabilité dans la région. Et puis en jouant un rôle central dans l'acheminement du pétrole de la Caspienne, la Géorgie prend de l'importance d'un point de vue géopolitique. De plus en plus, les pays occidentaux cherchent à s'approvisionner en gaz et en pétrole auprès de sources alternatives. Et si ces produits sont transportés via la Géorgie, alors celle-ci gagne en importance.

La Russie punit la Géorgie pour son indépendance bien sur, mais aussi parce qu'elle cherche à contrôler le transport du gaz et du pétrole entre la mer Caspienne et le marché occidental. Il est évident que toutes ces ressources énergétiques de l'Asie centrale. La Russie les achète et les revend aux marchés occidentaux, comme un courtier. Ce qui lui permet de faire des marges très importantes C'est pourquoi la Russie veut fermer toutes les sources d'approvisionnement alternatives aux européens. Et bien sur, les européens recherchent ces sources d'approvisionnement alternatives. A l'heure actuelle, les sources alternatives de pétrole, en provenance de la Caspienne ou de l'Asie, passent toutes par la Géorgie.

Deux raisons pour lesquelles ils nous punissent. Ils cherchent à fermer les canaux de transport de toutes les sources alternatives d'énergie d'est en ouest, et ce parce que nous ne sommes pas d'accord avec leur politique. Ils n'apprécient pas notre liberté de d'expression, notre démocratie etc… »

L’entretien est terminé, poignées de mains, échanges de cartes de visite et on décarre fissa. Le temps presse.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire